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Entretien avec Richard Odier, Directeur général du Fonds social juif unifié, sur la fondation Gordin
« Veiller à ce que les écoles juives puissent mettre à niveau leur parc immobilier »
Propos recueillis par
Josyane Savigneau
La fondation Rachel et Jacob Gordin a été créée en 2008. Quel est son secteur d’activité ?
Principalement, elle est destinée à aider les écoles juives dans le financement de projets immobiliers. D’une certaine manière, Jean-Daniel Lévy en est le « père », répondant à la demande d’Anne-Marie Revcolevschi, alors Directrice générale de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah ( FMS) . En effet, de toutes parts, venaient des demandes de financement, et chacun allait de son côté. Jean-Daniel Lévy a estimé qu’il était nécessaire de coordonner tous les projets. C’est ainsi qu’est née cette fondation. Ainsi, si certains sollicitent un financement venant du Fonds Social Juif Unifié (FSJU) ou de telle ou telle fondation, ils ont un « guichet d’accès » unique. Ensuite on arbitre ensemble, on évalue les montants ensemble. Par voie de conséquences, plus de 35 millions d’euros ont été investis depuis les débuts de la fondation Gordin.
Qui sont les financiers ?
Il y a six acteurs principaux : La fondation pour la Mémoire de la Shoah, la Fondation du Judaïsme Français (FJF), le FSJU, le fonds Harevim de Marc Eisenberg, la fondation Rothschild d’Eric de Rothschild ainsi que la Sacta-Rachi de la famille Leven.
Est-ce que les actions de la fondation Gordin se limitent à la construction de nouvelles écoles juives ?
Non, elle a aussi financé des aménagements, notamment la mise aux normes – contre les risques d’incendie, pour favoriser l’accès aux élèves porteurs de handicap -, tout ce qui conduit à mieux protéger les enfants de ces écoles. Le but de la fondation est donc de veiller à ce que les écoles juives puissent se financer, se rénover, et soient en mesure de faire face à la croissance du nombre d’élèves.
Agit-elle dans la France entière ?
La population juive, en France, habite majoritairement l’Ile de France. La fondation Gordin agit donc prioritairement dans cette région, à hauteur de 80% de ses actions, mais elle peut agir sur l’ensemble du territoire, elle l’a fait notamment à Marseille, Lyon, Nice…
Depuis le 7-Octobre et la poussée d’antisémitisme qui a suivi, des élèves quittent l’école publique pour aller dans des écoles juives. Ont-elles la possibilité d’accueillir ces nouveaux élèves ?
Je précise d’abord que les écoles juives que nous soutenons sont sous contrat, ou leurs classes en cours de contractualisation, donc ce sont des écoles validées par les rectorats.
Il y a eu, certes, des demandes, mais pas une explosion de demandes post-7-Octobre. Il y a un phénomène beaucoup plus large de départs de l’école publique vers des écoles privées, juives, catholiques, ou autres établissements d’enseignement privés ; cela est aussi lié à un sentiment d’insécurité de la part des parents.
A la fondation Gordin, nous avons bien sûr mené une étude après le 7-Octobre, pour évaluer les demandes. Nous avons constaté que les besoins ne sont pas dans l’immobilier, la construction de nouvelles écoles, mais plutôt sur une régulation entre les souhaits des parents et des enfants avec les places disponibles dans les écoles. S’ajoute à cela le fait que les écoles d’excellence sont connues, qu’elles ont un excès de demandes et sont en sursaturation. Le réseau des écoles juives n’est pas, lui, saturé, mais certains établissements le sont. En un mot, notre étude a montré qu’il n’y avait pas urgence à ouvrir de nouvelles écoles, mais qu’il serait bon d’agrandir les meilleures (aux yeux des parents !). Après les attentats de 2012 et 2015 – l’école juive de Toulouse, Charlie Hebdo et l’hypercacher -, nous avons ouvert de nouvelles écoles.
La fondation Gordin a aussi attribué des bourses dites « Benjamin Gross » – du nom d’un éducateur alsacien – pour accompagner les familles mettant pour la première fois leurs enfants dans l’une des écoles, pour leur permettre d’adapter leur budget à l’entrée dans une école payante.
Est-ce que le FSJU et la FJF investissent chaque année dans la fondation Gordin ?
Oui, chaque année, l’éducation juive est au cœur de leur mission.
Toujours pour la même somme ?
Non, c’est variable. Et puis, dans la fondation Gordin, certains font des prêts, d’autres attribuent des subventions, mais tout est coordonné. Le FSJU, lui, préfère accorder les subventions, pour plusieurs centaines de milliers d’euros par an. C’est un très gros poste pour le FSJU, et pour la FJF aussi désormais, qui a rejoint le board récemment. Il est important d’insister sur le fait que la fondation Gordin assure une cohérence nationale sur tous les projets qui sont reçus. Ce qui a remédié à l’aspect disparate de la situation antérieure. Le FSJU a une expertise, un regard qui est un regard global sur la région, l’évolution des classes année par année. On a un comité de gestion trimestriel, dont le responsable est Jean-Daniel Lévy, qui suit tous les mouvements de population, de classes, les boursiers etc. C’est Jean-Daniel Lévy, avec Patrick Petit-Ohayon, qui présente tous les projets. Toute l’expertise est produite par le FSJU, notamment par sa section éducation. Et elle est partagée avec les autres acteurs. La force de la fondation Gordin est qu’il y a là tous les grands acteurs financiers, et on parvient à mutualiser, arbitrer, questionner et ainsi identifier clairement les priorités.
Rares sont les écoles qui mentionnent cette aide de la fondation Gordin, et, quand elles le font, beaucoup d’élèves pensent que Gordin est un riche philanthrope, alors qu’il était un éducateur qui a repensé l’école juive après la Shoah. Il est mort très jeune, en 1947. Le nom de la fondation est un hommage à cet homme, Jacob Gordin, qui a fondé l’école Gilbert-Bloch d’Orsay.